mardi 21 juillet 2009

La nouvelle Lune a quarante ans

Ces temps-ci, à en croire les journaux, les radios et la télé, l'homme n'a de cesse de marcher sur la Lune. Les médias célèbrent donc le pied de l'homme. L'homme a un pied et lorsqu'il le promène sur certaines terres vierges, cela constitue un événement qui mérite, quarante ans après, que l'on y revienne, que l'on s'y arrête et que l'on y reste, comme Naples et Yvetot. Le cruel Flaubert n'avait-il pas écrit dans son Dictionnaire des idées reçues «Voir Yvetot et mourir» ?

Mais il ne sera pas question ici de Flaubert auteur capital, ni de cette perle normande, capitale du Pays de Caux. Il sera question de la Lune et plus particulièrement d'un prince.

Ainsi, le pied de l'homme a foulé, voilà pile quarante ans hier la terre vierge qu'était le sol de la Lune. Or la Lune, nous la connaissions déjà. Alexandre Vialatte, prince des chroniqueurs l'avait chantée dans une de ses chroniques que publiaient le quotidien La Montagne ou encore la revue Spectacle du Monde, chronique qu'il convient de relire pour connaître au mieux notre satellite, compagne des poètes et des fous. D'ailleurs, en règle générale, il convient de relire Alexandre Vialatte dont les sujets sont toujours considérables et les digressions pleines d'enseignement. Enfin, si la lecture évoque le voyage, la découverte de l'inconnu pour le lecteur qui à travers son activité sédentaire le mue en explorateur, la relecture le mène à un rendez-vous d'amour. Donc, il faut relire Vialatte. Ou le lire pour qui le découvrirait. Que nous dit-il de la Lune ?

« La Lune remonte a la plus haute antiquité. Elle change de forme tous les jours. De couleur tantôt rouge, tantôt verdâtre, tantôt énorme et orangée. Parfois elle a l'air d'un coquillage. Un coquillage nacré, tout usé sur les bords. Il y a deux ou trois jours, elle était transparente. On pouvait voir le ciel à travers. Tantôt elle est grosse comme un petit pois, tantôt comme un ballon de football, tantôt comme une pièce de 50 centimes. Certains matins d'épais brouillard on prend le Soleil pour la Lune. C'est ce qui fait dire à ma femme de ménage : "C'est surnaturel, la Nature !" (Elle n'aime vraiment, à part la Lune, que l'opéra et les temples romains, ce qu'elle doit à des origines corses, qui lui donnent des goûts italiens) D'autres fois, la Lune est immense, blanche et glacée, elle éclaire tout comme en plein jour et les ombres sont noires comme de l'encre de Chine. [...]

La Lune a beaucoup plus d'importance que le Soleil qui n'éclaire les hommes que le jour. Elle les éclaire la nuit, ce qui est beaucoup plus utile. C'est grâce à elle qu'on peut retrouver au fond des bois les épingles-trombones et les pièces de 10 francs qu'on perd dans les forêts profondes. Et ausi les pièces de 20 francs. Et les épingles de nourrice. Que ferait l'homme sans la Lune ? Il chercherait son chemin, et la mer n'aurait plus de marée. Il ne pourrait plus pêcher de moules à marée basse. Il n'y aurait plus d'assassins de la pleine lune. Une bonne moitié des poèmes élégiaques disparaîtrait de la littérature, et le tiers des proverbes bantous. Ce qui serait une grande désolation. L'ivrogne ne saurait plus comment rentrer chez lui. Le chien n'aboierait plus à la lune. C'est à Meudon qu'on la voit le mieux. Les meilleures cartes de la Lune ont été

dressées à Meudon. Peut-être à Meudon a-t-on des greniers plus élevés, qui rapprochent les observateurs, peut-être l'air est-il plus pur, peut-être les astronomes ont-ils plus de chaises ou plus de jardins pour y monter sur des chaises de jardin ? Certaines provinces font des marins, d'autres des mineurs, d'autres des horlogers. Meudon fait des regardeurs de Lune. [...] » Chronique intitulée La Lune et les Etoiles, La Montagne, 22 septembre 1968.


Vialatte savait-il que quelques mois plus tard, la main de l'homme mettrait le pied sur la Lune ou l'inverse, le pied de l'homme mettrait la main sur la Lune, puisque l'on connaît la course de vitesse qui voyait s'affronter Russes et Américains ? L'événement aura néanmoins surgi. Et

qu'importe, car comme le précise notre Auvergnat de Paris : « Il faut faire confiance aux événements, ils finissent toujours par se produire ».


La maison d'édition Julliard a réuni une cinquantaine de ces chroniques qu'Alexandre Vialatte écrivit en 1968.

Certes, l'ouvrage est sorti en octobre de l'année dernière, mais, comme toute chronique du prince des chroniqueurs, il ne comporte pas de date de péremption.

1968, chroniques, Alexandre Vialatte, Editions Julliard. 20 euros.