lundi 23 août 2010

Aller Retour à Saint-Malo

Ai relu Aller Retour de Marcel Aymé. Acheté chez un bouquiniste sur le marché de Paramé. Marcel, mon bien aimé. Ce roman, euphorisant si vous êtes en bonne santé mentale, vous y rirez, vous vous en abreuverez, vous y nourrirez votre embonpoint d'optimisme. Vous vous y découvrirez cynique à sa lecture et la chose vous fera du bien. Vous situerez vos ambitions à un niveau supérieur, vos aspirations seront nobles et subtiles. Vous aurez le juste sentiment de ne pas occuper votre place, la bonne place, dans la société. Tout comme Justin Galuchey, le héros du livre, que vous trouverez pitoyable et ridicule. Car il est l'autre. Un vous inenvisageable. Un double qui aurait mal tourné. Comme si, au Grévin, vous vous arrêtiez devant une de ces glaces déformantes qui vous perchent une tête minuscule sur un cou interminable, planté sur une boule massive et allongée, une patate habillée d'où dépassent des bras démesurés et de courtes jambes. On ne s'y reconnaît pas. On ressort de cette confrontation amusé par l'expérience, hilare par le grotesque de l'image renvoyée, et un peu déçu de ne pas s'être vu.
Quel drôle de tour joué au narcissisme que l'usage des glaces déformantes ! Car finalement, il en sort renforcé. D'ailleurs n'était-on inconsciemment allé affronter le faux reflet dans le seul but de voir son image, sa personnalité transparaître, persister malgré les aberrations visuelles ?
Aller Retour est l'un de ces miroirs.
Si vous souffrez de dépression, femme rêveuse et lucide, homme de désirs voués à l'inassouvissement, observateur consciencieux du réel affligé du don de double vue, ce roman ne vous fera pas rire.
Vous vous apitoierez de la vanité de ce Galuchey, de sa pauvre vie, ses pauvres visées et sa pensée courte. Il vous affligera, mais vous ne le quitterez pas, poursuivant votre lecture. Vous boirez la coupe jusqu'à la lie, car vous y entendrez une petite musique que vous connaissez bien. Celle que vous sifflotez au réveil, le matin. Une petite chanson qui ne vous lâchera pas, qui s’amplifiera au rasage ou au coup de brosse dans les cheveux, face à vous-même, les yeux dans les yeux, dans lesquels vous guettez un indice qui pourrait vous renseigner sur ce que vous êtes réellement. Un refrain entêtant qui n'en finira pas de résonner tout au long de la journée, en écho. Cette petite rengaine qui chante le bonheur inaccessible, l'ambition frustrée, l'existence foutue, à jamais réduite au rang de la médiocrité, comme si une main invisible vous maintenait implacablement à une ligne de flottaison malheureusement, et c'est paradoxal, située sous la surface de l'eau. Entre deux eaux.
Cette sale petite chanson n'a dans ses couplets que la vie de Galuchey. Et la vôtre. Elle reflète nos vies. Hélas, le miroir n'est que trop net. Il gagne en précision plus qu'il ne devrait. On ne s'en rend pas compte ; on est sidéré par l'image renvoyée, mais ce miroir est déformant. Aller Retour est l'un de ces miroirs !
On y est, on s'y voit, on ne s'y reconnaît pas. On y voit un autre. On se trompe ! On ne voit pas le miroir, voilà tout, et c'est là tout le talent du maître miroitier. Et pourtant, il nous suggère la nature de ce roman en deux mots, dès que nous nous saisissons du livre. Ceux du titre : Aller Retour.
 
 


 
Aller Retour, Marcel Aymé, 1927 ; Librairie Gallimard, coll. Succès, Paris.
 
 

Ai lu, de Jean Giraudoux, Juliette au pays des hommes, illustrations de H. Mirande. Le livre moderne illustré, J. Ferenczi & fils à Paris, 1940. Acheté chez ce même bouquiniste.
 
 

 
 
Dans une langue léchée, un gentil roman où l'on retrouve la jeune fille, (un éternel féminin ?) de Giraudoux. Déterminée, idéaliste, moderne dans son clacissime. Cette Juliette, avant de faire le grand saut pour le grand amour et la vie commune avec son fiancé Gérard, clarifie sa situation avec le destin. Elle jette un dernier coup d'œil sur les hommes qu'elle a connus par le passé, comme lorsque l'on quitte une chambre, soucieux de n'y avoir rien oublié ou rien laissé en désordre.
Comme dans un rite initiatique de passage qu'elle aurait elle-même imaginé, elle revisite des instants de son passé, conjugue ses connaissances et ses expériences au passé du Conditionnel.
 

 
Peut-elle tranquilliser son esprit en constatant que ses souvenirs ne viendront effleurer et faire écueil à son avenir sentimental qu'elle a choisi ? Elle fait acte. Acte de décision. Ici encore il est question d'un aller-retour et de miroirs. C'est beau, la volonté d'une jeune fille réfléchie.
 
 
 

 
Ai feuilleté quelques ouvrages à la librairie Septentrion qui propose quelques éditions anciennes de belle qualité qui ne restent « qu'en vitrine ».
De l'Histoire, locale et d'ailleurs, parmi lesquels Le livre jaune français – documents diplomatiques 1938-1939. Pièces relatives aux événements et aux négociations qui ont précédé l'ouverture des hostilités entre l'Allemagne d'une part, la Pologne, la Grande-Bretagne et la France d'autre part. Paris, Imprimerie Nationale. Ministère des Affaires étrangères.
Au rayon littérature des romans, bien sûr, mais on en trouve d'autres aux étagères consacrées à Saint-Malo, ses alentours et la Bretagne en général. Beaucoup sont de Roger Vercel. Il revient à la mode, je l'avais repéré à travers Remorques et Capitaine Conan sur l'étal du marché de Paramé, je le retrouve au Septentrion, ce qui somme toute est très logique d'un point de vue symbolique.
Cet auteur s'est beaucoup intéressé à la région, a vécu et est mort à Dinan. Ecrivain habituellement qualifié de maritime, à travers récits, nouvelles et romans, il raconte la mer (Au Large d'Eden, La Fosse aux vents, une trilogie, et la côte (En Dérive), il s'est passionné pour Charcot qu'il rencontre en 1937, auquel il consacrera des récits (A l'Assaut des pôles, Croisière Blanche, Il y a dix ans disparaissait Charcot), pour Cancale, Saint-Malo, la Rance, le Mont-Saint-Michel (Sous les pieds de l'Archange), etc.
Poursuivant ma visite, je laissais les ouvrages médicaux, négligeait une collection de missels pour m'emparer d'un tout petit livre, à la couverture de cuir, plus petit encore que ces opuscules rituels sentant l'encens et les espoirs confinés, renfermant des prières et quelquefois des larmes séchées. On a dû y pleurer aussi. Il s'agit de Thérèse Aubert de Charles Nodier.   Illustrations de A. Calbet.
 
 

 
 
Si le texte a été composé dans un corps qui met au supplice les yeux des hypermétropes presbytes, la mise en page sobre et soignée est magnifique, et la petite taille de l'ouvrage (In-12) ainsi que la qualité des illustrations en font un petit bijou.
 
 

 
 
 

 
 
 

 
Thérèse Aubert, Charles Nodier, illustrations de A.Calbet,1896 ; Librairie Borel, Nouvelles collections Guillaume, Lotus bleu. in-12, 204 pp. In-12. Relié demi-veau bleu, dos lisse. Affiché 60 euros.


Autre objet de ma curiosité, ce coffret à l'intérieur duquel vous sautent au visage les illustrations de Paul-Emile Bécat accompagnant ces Scènes de la vie de Bohème d'Henri Murger.
Paris, Athéna 1951. In-8 en feuillets, collection Athéna bibliophile. Couverture illustrée rempliée sous double étui de suédine rouge. Pointes-sèches de P. E. Bécat. 310 pages.
 
 

 
 
 
  
   

 

 
 
Murger, avant d'inspirer Puccini avec ses Scènes de la vie de Bohème qui datent de 1848, a mené l'existence de ces jeunes poètes sans le sou côtoyant peintres et musiciens non moins faméliques du Quartier Latin. Ce tableau romancé de la vie des rapins et de leurs muses lui aura apporté la notoriété et un principe de description d'un milieu social. Les Amours d'Olivier suivront, ainsi que d'autres récits plus ou moins autobiographiques (le Pays latin, 1852 ; les Scènes de la vie de jeunesse, 1853 ; les Buveurs d'eau, 1854), des nouvelles et des romans (Claude et Marianne, 1851 ; Adeline Protat, 1853 ; Scènes de la vie de campagne, 1856 ; Le Sabot rouge, 1860, etc.).
Mais j'étais loin du Quartier Latin, qu'un certain projetait de prolonger jusqu'à la mer. A Saint-Malo, peut-être, où se tiendra en mai, je crois, le Festival des étonnants voyageurs. De la lecture en perspective pour les Malouins et leurs amis.