jeudi 5 mai 2011

La famille

Plantons le décor. Un grand drapé où le bleu perce derrière le blanc. Du linge sèche, de gigantesques soutiens-gorge, des chemises, des culottes. A l'avant-scène, des poupées, sur les côtés, tout un tas d'objets hétéroclites. Puis elle arrive.
Elle trimbale un imposant derrière et un gros ventre de femme enceinte qui brinqueballe à chaque pas et tressaute à chaque éclat de rire. Elle arrive dans son accoutrement, des bas rayés dans des sabots, une robe jaune, un masque blanc furieusement maquillé. Elle rentre à la maison. Immédiatement, le spectateur sait qu'il ne sera pas épargné. Madame arrose une plante, termine un reste de lessive... avant de décrocher le grand drapé blanc. Elle, c'est la mère.
Derrière le drapé, la marmaille. Quatre enfants, sous une lampe à suspension, les visages blancs au maquillage très marqué, un garçon et trois filles, des chevelures ébouriffées, des couettes, des lunettes rondes, une tétine coincée dans la bouche de la plus petite, tous fagotés d'inimaginables vêtements s'activent autour de ce que l'on découvrira être le père. Lui repose sur une chaise à bascule. Les enfants l'ont couvert d'une multitude de pinces à linge, le garçon, de sa petite scie – l'une de ses deux armes favorites – cherche à entamer la cheville paternelle. Que font-ils ? L'ont-ils assassiné ? Est-ce un jeu, un simulacre ?
Voilà la famille au grand complet, et voilà comment s'ouvre cette chronique familiale.
Elle est composée et vous est présentée par le Teatr Semianyki*, une troupe de comédiens russes, venant de l'école de Théâtre de Clown et Mime du Teatr Licedei de (jadis) Leningrad.
Ce spectacle qui avait été donné dans le off du Festival d'Avignon en 2005 est la reprise du travail de création de fin d'école présenté par cette troupe en 2003.
La famille est délirante, exubérante, tendre, chaleureuse, cruelle. Elle est la vie. A travers une succession de sketches tous plus désopilants les uns que les autres, elle déchaîne les rires, provoque quelquefois les larmes et suscite toujours l'admiration pour ces comédiens déjantés.
Si le spectacle est muet, il dit beaucoup de choses. Entre les chamailleries des enfants, les coups de gueule de la mère, l'autorité vacillante et légèrement alcoolisée du père, on décèle des joyaux d'amour et de sensibilité et des trésors d'inventivité. On s'y bat,  on s'y aime, on s'y électrocute, on y décapite, on y boit de façon surprenante, on y dirige un orchestre, des poulets tombent – les objets prennent vie, le téléphone sonne... pour qui ?
Largement mis à contribution (et pas uniquement au premier rang), le public sera frappé, au sens strict du mot, mais n'en ressortira pas cabossé, au contraire, il naît de ce spectacle à l'apparence foutraque une bonne humeur et des sentiments de bonheur, car les comédiens donnent beaucoup. Et quand vient avec un peu de regret le moment des applaudissements, après un final grandiose, il n'est que justice qu'ils reçoivent beaucoup à leur tour.




* La troupe du Teatr Semianyki se compose d'OlgaEliseeva, Marina Makhaeva, Yulia Sergeeva, Elena Sadkova, Alexander Gurasov, Kasyan Ryvkin, comédiens et Boris Petrushanskiy, scénographe.

Au Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, du 3 mai au 2 juillet 2011, 20h30.
2bis av. Franklin D. Roosevelt. Paris 8e.

mercredi 20 avril 2011

Livres de toilettes

Certains livres se lisent au lit, d'autres lorsque l'on est confortablement assis dans un fauteuil, d'autres nécessitent que l'on soit studieusement installé à une table de bibliothèque. Certains ne craignent pas d'être parcourus dans de rapides transports publics, d'autres seront dévorés le temps d'un voyage en train. Il en est, enfin qui se lisent aux toilettes.
La qualité de ces différents ouvrages ne se mesure pas à l'aune des lieux où ils sont saisis par le lecteur. La noblesse de tel titre ne sera pas d'ailleurs pas entachée du manque de prestige dont souffrent généralement les ouatères, au contraire, les livres qui nous accompagnent en ces lieux d'aisance nous sont souvent les plus chers, et bénéficient de toute notre affection.
Ce n'est ni le nom ou le renom de l'auteur, ni la critique assassine du bouquin entendue au « Masque et la plume », qui pourraient par une analogie aussi triviale que scatologique le faire emporter au plus près de nos déjections personnelles, mais le format de la chose écrite – ou dessinée – qui décide de son emploi.
Intimité, espace restreint, durée limitée, voici les impératifs imposés par l'endroit, j'allais en omettre un : le plaisir que procurera la lecture du livre de toilettes, car il n'est pas question de s'y... emmerder.
On ne s'embarrassera pas d'un atlas, trop encombrant, qui contient le vaste monde au creux de ses pages, ni de grande littérature qui s'absorbe au long cours. On n'emportera pas Marguerite Duras ou Christine Angot, craignant l'omniprésence de ce gigantesque « je » qui n'est pas le nôtre, car on aime la solitude dans les circonstances qui nous mènent en ce petit coin, et je le répète, pas question de s'y faire... Il est des redondances insoutenables.
En revanche, des compilations de chroniques, Desproges, Laborde ou Vialatte ; de pensées et d'aphorismes, Jean Yanne ou Cioran ; ou encore certains autres ouvrages comme les Dictionnaire de la Bêtise de Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière, Trésor des méchancetés de Jean-Manuel Traimond, Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jacquard accompagnent plaisamment cette activité répétitive dont, il faut bien le reconnaître, on se lasse à la longue et à laquelle on ne trouve plus trop d'agrément depuis l'âge de quatre ans si ce n'est de satisfaire la grande nécessité. La langue nous fournit la locution idoine qu'il convient d'inverser : joindre l'agréable à l'utile.
Le principal avantage du lieu est que l'on s'y retrouve généralement seul et que l'on peut rire sans se justifier et sans crainte.
De cette littérature de toilettes, ô combien bénéfique pour notre moral, ajoutons Les moustiques n'aiment pas les applaudissements, dont l'auteur, si l'on en croit la couverture se nomme Auguste Derrière (né un 29 février 1892, ce qui lui fait au choix 119 ans ou presque 30).
En réalité, dans le dos d'Auguste Derrière se cachent Philippe Poirier, Vincent Falgueyret et Nadia Geyre de l'agence de graphisme la Maison PoaPlume à Bordeaux.
Grâce à ce petit livre, vous étonnerez vos proches, qui l'oreille collée à la porte se demanderont bien ce qui se passe là-dedans en vous entendant vous esclaffer. Il contient tout le génie français, l'humour fin mis au service de la profondeur de la pensée, comme dans cet aphorisme : « L'intelligence artificielle n'a aucune chance face à la stupidité naturelle ».



Vos zygomatiques travailleront à la lecture de ces vieilles réclames détournées, du non-sens, de l'absurde, des jeux de mots rappelant l'Os à Moelle ou l'almanach Vermot, en somme, de ces somptueuses sottises qui font de la peine aux esprits chagrins.
Le non-sens est souvent plein de bon sens : « qui vole un œuf a une petite omelette »... « Qui vole un bœuf est vachement costaud », et rit de nos travers comme cette publicité pour Marcel Botanski, bottier agréé de la reine Carla : « Une offre exceptionnelle à ne pas négliger, pour l'achat de la paire : la troisième botte gratuite ».






Certes, si vous manquez d'humour, procurez-vous en au plus tôt ou laissez tomber ce cirque de maximes et de dictons au naturel. Tant pis pour vous, vous ne commencerez pas votre journée le sourire aux lèvres et votre œil restera aussi terne qu'un camion. Ce curieux petit livre ne sied pas aux constipés ! Dans le cas contraire, faites vôtre cette sentence :
Ne pose pas ton Auguste Derrière lorsque tu poses ton auguste derrière.

Les moustiques n'aiment pas les applaudissements, par Auguste Derrière, Le Castor astral, 2009, 12,90 euros.


• Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, par Guy Bechtel, Jean-Claude Carrière, Ed. Robert Laffont, 1965.
• Le Trésor des méchancetés, anthologie d'humour à l'usage des anarchistes, par Jean-Manuel Traimond, Atelier de création libertaire, 1998.
Dictionnaire du parfait cynique, par Roland Jaccard, Hachette, 1982.

Le blog d'Auguste Derrière

lundi 28 mars 2011

Du plaisir de s'égarer

Il est une grande différence entre se perdre et s'égarer. Pour qui est perdu l'espoir est vain, « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance », avertit Dante Alighieri aux portes de l'enfer.
S'égarer suppose qu'il est possible de retrouver son chemin, certes en plus ou moins de temps qu'on le désirerait, avec des détours plus ou moins agréables. Certains prennent même plaisir à volontairement s'égarer, juste pour le voyage que procure une absence provisoire de repères.
Quoi de plus excitant pour l'esprit que la déambulation à travers un labyrinthe, la découverte de l'inconnu, la rencontre avec l'inattendu, la confrontation avec ce que l'on croyait impensable ? Quel face à face avec soi-même que de se sentir déconcerté. Les auteurs de contes merveilleux ne s'y sont jamais trompés, qui savaient astucieusement mêler le surnaturel au réel.
Tout est affaire de désordre ou de transgression dans le plaisir. Le mystère, qui propulse l'imaginaire en orbite, recèle dans sa nature quelque chose qui a à voir avec le désordre et la réalité transgressée.
C'est sans doute mus par cette quête du plaisir, que les bibliophiles sacrifient à leur soif de connaissances, acquérant une somme inconsidérée de livres, de renseignements et d'anecdotes, transformant en idée fixe la recherche d'un ouvrage particulier, un merle blanc,  parfois jusqu'à toucher les frontières de la folie que quelques-uns franchissent...
Tel est le prix de l'érudition, la rançon du plaisir.
Et du plaisir, nous en prenons dès que l'on ouvre De l'égarement à travers les livres, d'Eric Poindron, car il nous convie à un voyage étonnant vers l'extraordinaire, par des sentiers non balisés. Le lecteur, aventurier immobile, n'est d'ailleurs pas pris en traître. Immédiatement prévenu « il se peut que ce que vous allez lire ne soit pas vrai ou ne soit pas arrivé », il sait que sa flânerie lui fera connaître l'égarement. 


Approché apparemment par hasard dans une librairie rémoise par un médecin bibliophile, l'homme qui nous livre ici son histoire, bibliomane aimant Charles Nodier et le bibliophile Jacob, se voit peu à peu ouvrir les portes confidentielles du Cénacle troglodyte, un cercle ésotérique aux origines lointaines et discutées selon les livres et les études qui en traitent.
Cette société secrète aurait connu plusieurs renaissances. L'une de ses résurgences aurait eu lieu au moment du sacre de Charles X probablement sous la houlette de Collin de Plancy, l'auteur du Dictionnaire infernal et se serait développée en une société occulte, de lecteurs savants s'attachant à sonder les profondeurs hermétiques et à discerner l'ombre de la lumière.
En sommeil, lors de la Grande Guerre le fameux cénacle réapparut transformé quelques années après la fin du conflit. Il était dès lors question d'édifier un formidable conservatoire de la connaissance, une bibliothèque de Babel souterraine, dont les membres prestigieux voueraient leur existence aux livres et enquêteraient sans relâche à démêler le vrai du faux. A son tour, il devient un détective littéraire, et c'est ainsi qu'il nous raconte des histoires merveilleuses et quelquefois diaboliques.
Qui était l'Ardennais Adalbert Chamisso, l'auteur de La fabuleuse histoire de Peter Schlemihl ou l'homme qui a perdu son ombre ? Un éternel frontalier, toujours entre deux mondes sans être jamais accepté par aucun, à l'instar de son héros, condamné volontaire à une perpétuelle errance ? Qu'est-il advenu du corps de Voltaire ? Quels fils imaginaires – ou surnaturels – relient H.-P. Lovecraft à William Hope Hodgson, le créateur du détective Carnacki, chasseur de fantômes et H.-G. Wells ?
Quelles furent les aventures de ces fous littéraires martyrisés par des démons, celui-ci qui voyait des farfadets partout, ou Gérard de Nerval invitant malgré lui un diable rouge sur le rebord de son assiette de soupe ? Connaissez-vous la lugubre prophétie de la Harpe ?
Ce livre n'est pas un roman. Il s'agit d'un objet littéraire déraisonnable. Tout autant que les histoires exhumées du Cénacle troglodyte, qu'Eric Poindron nous sert. On se laisse aller à goûter l'extraordinaire gourmandise, en vérité un mets de choix fait d'érudition et d'originalité. Embrassé par le fantastique, on y croit. Même persuadé d'avoir tort, on veut y croire, on ne demande qu'à s'égarer, et on se prend à rêver que, touchés à notre tour d'onirobibliomania, l'on pénètre dans une grande bibliothèque souterraine, taillée dans la pierre crayeuse, non loin de la cathédrale de Reims.

De l'égarement à travers les livres, par Eric Poindron, Ed. Le Castor astral, coll. Curiosa & caetera. 16 euros.

jeudi 20 janvier 2011

Comment chat va chez vous ?

L'homme est un animal mystérieux. Il convient de le connaître, de tout savoir de ses habitudes, de ses rites, ses particularités, quand il s'agit de cohabiter avec lui, d'autant plus lorsqu'il se persuade qu'il est votre maître et que vous habitez chez lui. Alors qu'il commet là de grossières erreurs.
Le pantalon de l'homme siéra mieux s'il est de velours côtelé et lui occasionnera moins de désagrément que le jean qui excite les griffes, en ayant l'avantage de moins glisser que le tergal, ce qui pour un chat constitue le minimum de confort pratique exigible.
Les chats doivent apprendre l'homme pour en faire le plus parfait esclave, c'est-à-dire inconscient de son état, qui recherche et mieux encore, qui aime son esclavage.
Ce petit livre, Comment domestiquer son maître quand on est un chat, pourrais être sous-titré manuel de savoir-vivre à l'usage des chatons et autres félins candidats à la vie de maison. L'auteur est une chattounette qui a pris un pseudonyme humain : Monique Neubourg, et elle s'y connaît en bipèdes.
Elle déconseille le léchage de paupières, que l'homme abhorre, et donne toutes les clés pour le dominer en douceur. Les chats ont tant d'aptitudes naturelles pour y parvenir ! Il faut qu'il sache s'y prendre avec les minous, pour les choyer, les soigner, les aimer, les nourrir, en résumé pour les servir. Pour obtenir ce résultat  et aboutir à ce qui ressemble un peu au paradis, le greffier doit dresser son homme, qui, ne voyez ici aucun sexisme, peut être une femme, une mèrachat, par exemple.
Alors, le matou doit peaufiner sa stratégie, le dédain passager, le regard attristé, le mystère suscité. Alterner le chaud et le froid, le doux et le piquant. Il doit différencier l'homme en blanc dont on ne prononce pas le nom (quand on est chat) de la femme de ménage ou des enfants de la portée humaine. Il doit tout connaître de son environnement, des lieux et objets qu'il devra négliger, fuir ou s'approprier, meubles, appareils en tous genres, tout comme il lui sera nécessaire de se familiariser avec les rites humains, leurs avantages et leurs désagréments.
S'il se trouve un lecteur humain à ce livre, il s'y amusera bien. Il rira de ses deux animaux préférés : le chat et lui-même. Il en tirera également beaucoup d'enseignements sur eux et prendra conscience de quelques-uns de ses propres travers.  Ainsi, il ne pourra que s'améliorer.

Comment domestiquer son maître quand on est un chat, Monique Neubourg, Editions Chiflet & Cie, 10 euros.

L'herbe est toujours plus verte ailleurs

Moins sérieux que le G8 ou le G20, le G13 est une herbe mythique, nous dit l'auteur de cette petite, mais très riche encyclopédie. L'origine nébuleuse de cet hybride serait attribuée au gouvernement américain qui l'aurait fabriqué dans le cadre de ses recherches sur le cannabis thérapeutique. Son nom G-13 signifierait Government Marijuana (le M étant la 13e lettre de l'alphabet). Car c'est de ce végétal, dont les premières traces écrites de son utilisation remontent à 2800 ans avant Jésus-Christ dans le Shen nung pen Ts'ao king, un traité des plantes médicinales composé par Shen nong, recensant 163 remèdes d'origine végétale, qu'il est question dans cette Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis de Nicolas Millet. Quant aux premières représentations picturales de cette plante, elles datent de 8000 avant J.-C. et nous viennent encore de Chine, précisément du site de Xainrendong (Jiangxi), sur des céramiques décorées à l'aide de tiges de chanvre.
De Pline l'Ancien à certaines grand-mères espagnoles contemporaines, le chanvre constitue la base de remèdes pour d'étonnantes applications. Si les secondes préservent les enfants de la grippe en suspendant une petite boîte en fer contenant du cañamo au pied de leur lit, le naturaliste romain, auteur de l'Histoire naturelle atteste que le « suc » du chanvre fait sortir les vers des oreilles, que sa racine cuite assouplit les articulations et soigne la goutte, et que ses graines suppriment le sperme, ce qui est bien pratique. Aujourd'hui son usage thérapeutique concerne des affections extrêmement plus graves et plus handicapantes (cancers, sida, sclérose en plaques, glaucome).
Il convient, bien sûr de distinguer le chanvre qui produit des effets psychotropes de celui, autorisé dont on se sert dans le bâtiment comme matériau isolant, et de faire la part des choses entre l'herbe elle-même dont les fleurs femelles, car la plante est sexuellement différenciée, se gorgent de résine, et le haschich, nom donné à cette résine, souvent « coupé » avec des substances plus ou moins hétéroclites que les revendeurs ajoutent pour augmenter les quantités.
Les amateurs prisonniers des nuages, il y en a, la Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis les dénombre par pays, fumeront ces fleurs ou cette résine, au choix, ou bien prépareront un « beurre de Marrakech » qu'ils utiliseront pour confectionner de petits gâteaux au nom évocateur de space cakes. Le lecteur, devenu spécialiste saura distinguer ce beurre de Marrakech avec le beurre de cannabis, spécialité culinaire non psychotrope de Lettonie élaborée avec les graines. Nous sommes loin de la « confiture verte » que goûtaient certains de nos poètes du XIXe siècle, au Club des Haschischins qu'avaient créé en 1844 Jacques-Joseph Moreau de Tours et Théophile Gautier.
C'est durant la campagne d'Egypte (1799), que les scientifiques emmenés dans cette gigantesque expédition auraient découvert ces propriétés favorisant le rêve et l'ivresse du cannabis. Napoléon Bonaparte aurait interdit la consommation et la culture de la plante après qu'un musulman saoulé au haschich l'ait attaqué au couteau. Si de nos jours, aux Etats-Unis quelques états tolèrent l'usage médical du cannabis, la prohibition est comme dans la plupart de pays de mise. Harry Anslinger, commissaire du Federal Bureau of Narcotics de 1930 à 1964 a mené une lutte farouche contre le cannabis. S'appuyant sur une idéologie ambiante hostile aux Noirs et aux  hispaniques, il distille une propagande féroce contre cette drogue ne reculant pas contre la désinformation et l'invention de faux faits divers. En 1937, il fait voter le Marijuana Tax Act qui touche d'une forte taxe tous les producteurs de chanvre (quel qu'il soit). Cela n'empêche nullement le ministère de l'Agriculture de commanditer en 1942 un documentaire, Hemp for Victory, au réalisateur Raymond Evans, vantant aux agriculteurs les mérites du chanvre.
La loi française interdit et punit toujours la production, la vente, la détention et l'usage de cannabis. Régulièrement la question de la dépénalisation revient dans le débat public. Si en 1997, le CIRC (Collectif d'information et de recherche cannabique) avait, dans ce but, fait parvenir à chaque député un joint de marijuana, la plus importante manifestation dans notre pays en faveur de la dépénalisation se déroule chaque année, depuis 1976, le 18 juin, Place de la Villette, à Paris. Se référant à l'appel du général de Gaulle, le journal Libération avait publié un texte demandant aux autorités de ne plus criminaliser l'usage du cannabis ainsi que la liste des signataires de cet « appel du 18 joint ».
Notre Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis rappelle les noms prestigieux de ces signataires, ainsi qu'elle précise ce qu'ils sont devenus, et force est de constater que beaucoup ont mené d'honorables carrières.
Contrairement à la première Bible de Gutenberg (1452), la Petite encyclopédie du cannabis n'a pas été imprimée sur un papier de chanvre, pourtant plus écologique que le papier de pulpe de bois, mais le lecteur aura plaisir à le toucher et son œil sera flatté de la jolie typo de l'ouvrage. Il y fera encore bien des découvertes parmi ses 300 entrées, tant sur le plan historique, que musical, pratique ou médical, hormis peut-être que le cannabis occasionne des pertes de mémoire, car, vous l'ai-je dit, cette Petite encyclopédie du cannabis est très riche !

Petite encyclopédie du cannabis, Nicolas Millet, Le castor Astral, coll. curiosa & cætera, 13 euros.

samedi 1 janvier 2011

Le soleil m'a oublié

Des coups, il en est de toutes sortes. Ceux des boxeurs. Le boxeur, solidement planté sur ses jambes, danse, virevolte, tourne sur lui-même. Il lutte contre l'ivresse. Il balance, et au détour de son ballet, balance des coups, une grêle sur l'adversaire ou sur le sac d'entraînement.
Des coups dans la gueule, des coups au foie, et puis des coups au cœur qui ont la force de la foudre.
Lequel de tous fait le plus mal ? Quel est celui qui te laisse groggy, bon pour le compte, hébété. Quel est celui qui te donne le plus d'espoir ? Quelle est la plus cruelle des passions ? Celle vouée à la déesse de pierre ou celle portée à la déesse de chair ?
Et puis il y a les coups du sort. Les salingues coups que forge le destin, inexorable et définitive marque que finit par asséner la société. Les coups en vache parce que tout est joué d'avance. « Le hasard n'existe pas ! »
Le dernier roman paru de Christian Laborde, au titre qui évoque Léo Malet (Le soleil n'est pas pour nous) parle de ces coups-là.
Le soleil m'a oublié débute par une série de frappes sourdes et claquantes dans l'ombre d'une salle de sport pour laisser percer un espoir de douceur, une lueur ensoleillée dans la vie de Marcus, boxeur de dix-sept ans qui ne vit que de coups, parfois de mauvais, perpétués à la faveur de la nuit dans des villas délaissées.
C'est dans cet univers qu'il rencontre le soleil. Un soleil à deux faces. L'une a pour nom amour, l'autre littérature. Marcus aime Roxane, prénom prédestiné aux coups de foudre et aux amours contrariées.
Je ne vous dirai pas la fin. Au lecteur de faire son boulot de lecteur.
Pas de surprise, comme à l'accoutumée, il n'y a là que du bon, Laborde va vite et bien. Ce roman est enlevé, comme un match en quinze reprises rapides, sèches et âpres que l'on ne verrait pas passer. Dans Le soleil m'a oublié, on retrouve le style du puncheur où tout n'est que rythme et percussion, pas de temps mort, pas de reculade et pas de round d'observation. On y entend la rugosité d'un rap, mais de la douceur aussi. NTM et Police.  Ragging bull sans la graisse, on y voit la vie et le soleil, inaccessible.

Le soleil m'a oublié, Christian Laborde, éditions Robert Laffont, 2010. 16 euros.