mardi 24 novembre 2015

Ce feu ancien qui enflamme



Quel est donc ce feu ancien qui enflamme notre présent ? A toute époque, quelques esprits éclairés ont dû se poser cette question. Depuis le siècle des "Lumières", qui plus que tout autre a donné la possibilité à des philosophes de remettre en question le pouvoir des clercs et leurs légendes imposées, nous pensions être devenus plus sages, plus circonspects envers la croyance.
Régulièrement, l'actualité nous détrompe, et davantage encore aujourd'hui. Ailleurs, mais aussi ici, la croyance a la vie dure.
Jean-Claude Carrière ouvre son essai Croyance par ces mots : Nous devons à présent nous faire une raison. Quel bon conseil ! Avant de poursuivre : Á l'issue d'un long combat, la croyance, aujourd'hui, l'emporte sur la connaissance. Terrible constat. Nous voilà plongés dans les affres du pessimisme. Vite retournons à la première phrase, prenons-la pour un mot d'ordre intime, un vœu pieux.
On pourrait qualifier cet ouvrage du co-auteur du Dictionnaire de la bêtise de livre salutaire, mais est-il réellement susceptible de toucher, voire de convaincre ceux dont il traite ? Car voilà bien le problème de la croyance : ceux qui croient ne donnent pas raison à la raison. La certitude s'ancre dans les esprits, sans nécessiter une quelconque preuve, qui va même jusqu'à nier les évidences. La croyance se suffit à elle-même.
Bien souvent, en plus de nous donner de nombreux exemples des aberrations des religions les plus diverses, Jean-Claude Carrière se met à la place du croyant et écrit à la première personne cherchant à analyser la dynamique de la croyance sur l'individu ou le groupe de fidèles. Ma foi, c'est moi. Et qu'importe que le vrai dieu soit celui-ci ou celui-là, ce qui importe au fond,  n'est pas ce que je crois, mais c'est que je crois.
Des fous de Dieu courant tel Polyeucte (comme tant d'autres) à la mort choisie pour prouver sa foi aux yeux des hommes, aux égorgeurs islamistes en passant par les contempteurs de l'hérésie – communs dans tous les mouvements religieux, Jean-Claude Carrière nous rappelle que ces religions dites d'amour passent par le sang versé et la violence, tous nourrissent et se repaissent d'une ferveur assassine, tout comme les croyances en autre chose telle l'adhésion aveugle à un système politique et à un parti communiste tout puissant dans l'URSS stalinienne par exemple.
Ainsi, il faut aussi se méfier de nous-même qui ne pensons pas comme les autres.
Religions polythéistes, monothéistes, sectes diverses ayant pignon sur rue ou bien aussi improbables que celle de ces Indonésiens adorateurs d'un lézard, avec leur foule de prophètes advenus ou attendus, leurs prédictions qui ne se réalisent jamais, leur promesse d'Apocalypse, leur culte de la mort, de la peur et de la souffrance, et qui à coup sûr fournissent à leurs nouveaux fidèles une renaissance, finissent par mourir. Elles disparaissent et se voient remplacées par une nouvelle croyance, fonctionnant sur le même modèle, qui s'affirme elle aussi intangible et éternelle. Cela peut donner un peu d'espoir à qui préfère la raison à la croyance, qui à chaque affirmation d'une vérité établie se permet de douter et réclame des preuves.
Mais l'auteur nous pose une ultime question : que serait un monde sans croyance ? Une banquise, un désert ! Et quelle terreur aussi dans ce monde épuré, anesthésié, car l'épouvante peut naître tout pareillement de la vérité nue, et la raison sait jouer les despotes.
Alors, que nous reste-t-il à faire, sinon comme le sage Jean-Claude Carrière nous le suggère : apprendre à vivre.

Croyance, Jean-Claude Carrière, Ed. Odile Jacob. 22,90€