

Passionné comme une grande partie de la France par l'affaire qui oppose Le Libertaire et L'Action Française, par voie de presse et de tribunal, Léo Malet prend contact avec le groupe anarchiste de Montpellier, ce qui le mènera à rencontrer Colomer lors d'une conférence. Ce dernier hébergera quelques temps le jeune Léo Malet, l'introduira dans les milieux anarchistes qui offriront à l'adolescent orphelin une fraternité adoucissant l'absence de famille. Dans l'hebdomadaire L'Insurgé que crée Colomer, la signature Noël Letam, laisse aux amateurs d'anagrammes un indice sur l'identité de l'auteur qui se cache sous ce pseudonyme.
Le foyer végétalien de la rue de Tolbiac
Il séjournera quelques temps au « foyer végétalien » de la rue de Tolbiac. Ce même lieu d'hébergement collectif, lourd de militantisme verra revenir Nestor Burma bien des années après y avoir vécu, et qui devant le cadavre d’un vieux camarade, le fera répondre au commissaire Faroux :
« Vous en faites une tête, à quoi pensez-vous ?
– A ma jeunesse. Je n’aurais pas cru que ce fût si loin.»
Au chapitre de ses souvenirs, les vitres aveugles du foyer, l'enfilade des lits, les camarades, les affiches annonçant une conférence. « A la Maison des Syndicats, boulevard Auguste Blanqui, séance du Club des Insurgés. Sujet traité : Qui est le coupable ? La Société ou le Bandit ? Orateur : André Colomer. » (Brouillard au pont de Tolbiac, 1956). Ce foyer, sa salle de restaurant au règlement hygiéniste, ses locataires qui « piquent des macadams » (faux accidents de travail), Léo Malet en emprunte le décor et les protagonistes pour construire Le soleil n’est pas pour nous, deuxième roman de la Trilogie Noire, dans lequel le héros qui y débarque est un adolescent orphelin, originaire du midi, mené en prison pour vagabondage. Et le débat qui anime les anarchistes, à l’époque où Malet vient à les fréquenter, à propos de l’illégalisme illustré par la bande à Bonnot et autres aventuriers sans foi ni loi, ceux que Colomer nomme « les hardis joueurs de la vie », dans A nous deux, patrie! (op. cit), n’est rien d’autre que la trame de fond de La vie est dégueulasse, et ses personnages des « bandits tragiques ». Selon ses propres dires il s’en fallait d’un rien pour que le destin de Léo Malet ressemblât au leur. Enfermé à la Petite Roquette pour vagabondage, il en sera libéré par l’action de son grand-père. De l’activité de chansonnier en petits boulots (1), il s’intéresse au surréalisme (2).

Manifestement un surréaliste
Malet fréquentera le café Cyrano, lieu favori de rencontre du mouvement surréaliste – qu’il ne tarde à intégrer – et se lie avec, entre autres, Salvador Dali, et Yves Tanguy.

1936 prend fin et Malet publie son premier livre : Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe. Ce recueil de poèmes « n’a été tiré qu’à un très petit nombre d’exemplaires, une trentaine seulement… L’anecdote curieuse, c’est qu’il a été fabriqué dans une usine d’armement en grève, chez Brandt, à Châtillon. Les amis de [sa] femme qui travaillaient au service photo de cette usine se sont amusés à procéder au tirage de ce poème, écrit à la main. Ils en ont tiré cinq exemplaires en négatif (c’était l’édition de luxe), et vingt-cinq en positif » (in La Vache enragée, op. cit.). Bien qu’aucun lieu, date et éditeur ne soit mentionné dans l’ouvrage, le label des Editions surréalistes figure sur le bulletin de souscription (Breton l’avait autorisé à le faire).




Dans cette période, il rédige également ce qu’il nomme des « contes doux », récits courts qui paraissent dans la revue La Rue. Doux... A voir ! Un Bon petit diable, par exemple, dans le numéro 26, est l’histoire d’un jeune garçon qui défenestre sa mère. Mais le noir est là ! Et Léo Malet fait lentement mûrir sa trilogie. Il désire traiter du désespoir et de la fatalité que le genre policier d’alors n’a pas encore accueillis.

La Trilogie Noire : une naissance difficile
Longue gestation. Le premier opus paraît début 1948 à la S.E.P.E. La vie est dégueulasse commence par un « véritable... bide », selon ses propres mots !


C’est nourri par cette double parenté, l’anarchie et le surréalisme, que Léo Malet, l’orphelin réussira à donner de nouveaux horizons au roman policier, le teintant de détresse sociale et de poésie.

(2) Alors qu’il livre un bidet (il tient à le préciser dans un entretien avec Yves Martin!) que passant devant la librairie de José Corti, rue de Clichy, il voit La Révolution surréaliste et d’autres publications « aux couvertures curieuses » qu’il rencontre le surréalisme.
(3) « Sous le drapeau sang et noir de l’inquiétude sexuelle », préface de Francis Lacassin à La vie est dégueulasse, 10/18, coll. L’appel de la vie.
Léo Malet revient au bercail ... après quelques escapades.


C’est aussi 88 manuscrits et tapuscrits dont Le Trésor des Mormont, un petit livre que Léo âgé de 8 ou 9 ans avait écrit à la main et illustré, des collages, des tracts surréalistes, les divers volumes dans les différentes éditions de son œuvre, plus de 2000 objets de correspondance parmi lesquels des courriers de Paul Eluard, Magritte, Yves Tanguy, Boileau-Narcejac, Jacques Tardi..., des revues anarchistes, surréalistes, littéraires, 369 livres dont beaucoup dédicacés des noms de Breton, Eluard, Pastoureau, Benjamin Péret... Un inventaire à la Prévert (qui est présent lui aussi).
Léo Malet revient au bercail, c’est en 20 panneaux et vitrines le parcours de sa vie et de son œuvre à travers l’anarchie, le surréalisme le polar. C’est aussi l’assurance donnée à voir que Malet est un auteur durable puisque son œuvre a réussi à traverser le temps pour que la bande dessinée avec Jacques Tardi et le cinéma ainsi que la télévision l’adaptent et s’en inspirent. Une des particularités de cette exposition, est qu’elle est itinérante. Et conçue en double exemplaire. Après s’être déplacée à Lens, Corbeil-Essonne, Tarare et Alger, la voici à Brives et après trois mois de villégiature en Roumanie, elle s’installera à Arras en mai, Chaumont de juin à novembre, puis Montélimar et les médiathèques de Haute-Marne. Pendant ce temps, « Léo Malet revient au bercail » poursuit son voyage dans les communes de l’Agglomération. Elle sera accueillie au Crès du 12 au 31 mars et reviendra à la médiathèque centrale d’Agglomération Emile Zola, du 2 au 19 juin.
A paraître dans le Magazine du Bibliophile