jeudi 20 janvier 2011

Comment chat va chez vous ?

L'homme est un animal mystérieux. Il convient de le connaître, de tout savoir de ses habitudes, de ses rites, ses particularités, quand il s'agit de cohabiter avec lui, d'autant plus lorsqu'il se persuade qu'il est votre maître et que vous habitez chez lui. Alors qu'il commet là de grossières erreurs.
Le pantalon de l'homme siéra mieux s'il est de velours côtelé et lui occasionnera moins de désagrément que le jean qui excite les griffes, en ayant l'avantage de moins glisser que le tergal, ce qui pour un chat constitue le minimum de confort pratique exigible.
Les chats doivent apprendre l'homme pour en faire le plus parfait esclave, c'est-à-dire inconscient de son état, qui recherche et mieux encore, qui aime son esclavage.
Ce petit livre, Comment domestiquer son maître quand on est un chat, pourrais être sous-titré manuel de savoir-vivre à l'usage des chatons et autres félins candidats à la vie de maison. L'auteur est une chattounette qui a pris un pseudonyme humain : Monique Neubourg, et elle s'y connaît en bipèdes.
Elle déconseille le léchage de paupières, que l'homme abhorre, et donne toutes les clés pour le dominer en douceur. Les chats ont tant d'aptitudes naturelles pour y parvenir ! Il faut qu'il sache s'y prendre avec les minous, pour les choyer, les soigner, les aimer, les nourrir, en résumé pour les servir. Pour obtenir ce résultat  et aboutir à ce qui ressemble un peu au paradis, le greffier doit dresser son homme, qui, ne voyez ici aucun sexisme, peut être une femme, une mèrachat, par exemple.
Alors, le matou doit peaufiner sa stratégie, le dédain passager, le regard attristé, le mystère suscité. Alterner le chaud et le froid, le doux et le piquant. Il doit différencier l'homme en blanc dont on ne prononce pas le nom (quand on est chat) de la femme de ménage ou des enfants de la portée humaine. Il doit tout connaître de son environnement, des lieux et objets qu'il devra négliger, fuir ou s'approprier, meubles, appareils en tous genres, tout comme il lui sera nécessaire de se familiariser avec les rites humains, leurs avantages et leurs désagréments.
S'il se trouve un lecteur humain à ce livre, il s'y amusera bien. Il rira de ses deux animaux préférés : le chat et lui-même. Il en tirera également beaucoup d'enseignements sur eux et prendra conscience de quelques-uns de ses propres travers.  Ainsi, il ne pourra que s'améliorer.

Comment domestiquer son maître quand on est un chat, Monique Neubourg, Editions Chiflet & Cie, 10 euros.

L'herbe est toujours plus verte ailleurs

Moins sérieux que le G8 ou le G20, le G13 est une herbe mythique, nous dit l'auteur de cette petite, mais très riche encyclopédie. L'origine nébuleuse de cet hybride serait attribuée au gouvernement américain qui l'aurait fabriqué dans le cadre de ses recherches sur le cannabis thérapeutique. Son nom G-13 signifierait Government Marijuana (le M étant la 13e lettre de l'alphabet). Car c'est de ce végétal, dont les premières traces écrites de son utilisation remontent à 2800 ans avant Jésus-Christ dans le Shen nung pen Ts'ao king, un traité des plantes médicinales composé par Shen nong, recensant 163 remèdes d'origine végétale, qu'il est question dans cette Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis de Nicolas Millet. Quant aux premières représentations picturales de cette plante, elles datent de 8000 avant J.-C. et nous viennent encore de Chine, précisément du site de Xainrendong (Jiangxi), sur des céramiques décorées à l'aide de tiges de chanvre.
De Pline l'Ancien à certaines grand-mères espagnoles contemporaines, le chanvre constitue la base de remèdes pour d'étonnantes applications. Si les secondes préservent les enfants de la grippe en suspendant une petite boîte en fer contenant du cañamo au pied de leur lit, le naturaliste romain, auteur de l'Histoire naturelle atteste que le « suc » du chanvre fait sortir les vers des oreilles, que sa racine cuite assouplit les articulations et soigne la goutte, et que ses graines suppriment le sperme, ce qui est bien pratique. Aujourd'hui son usage thérapeutique concerne des affections extrêmement plus graves et plus handicapantes (cancers, sida, sclérose en plaques, glaucome).
Il convient, bien sûr de distinguer le chanvre qui produit des effets psychotropes de celui, autorisé dont on se sert dans le bâtiment comme matériau isolant, et de faire la part des choses entre l'herbe elle-même dont les fleurs femelles, car la plante est sexuellement différenciée, se gorgent de résine, et le haschich, nom donné à cette résine, souvent « coupé » avec des substances plus ou moins hétéroclites que les revendeurs ajoutent pour augmenter les quantités.
Les amateurs prisonniers des nuages, il y en a, la Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis les dénombre par pays, fumeront ces fleurs ou cette résine, au choix, ou bien prépareront un « beurre de Marrakech » qu'ils utiliseront pour confectionner de petits gâteaux au nom évocateur de space cakes. Le lecteur, devenu spécialiste saura distinguer ce beurre de Marrakech avec le beurre de cannabis, spécialité culinaire non psychotrope de Lettonie élaborée avec les graines. Nous sommes loin de la « confiture verte » que goûtaient certains de nos poètes du XIXe siècle, au Club des Haschischins qu'avaient créé en 1844 Jacques-Joseph Moreau de Tours et Théophile Gautier.
C'est durant la campagne d'Egypte (1799), que les scientifiques emmenés dans cette gigantesque expédition auraient découvert ces propriétés favorisant le rêve et l'ivresse du cannabis. Napoléon Bonaparte aurait interdit la consommation et la culture de la plante après qu'un musulman saoulé au haschich l'ait attaqué au couteau. Si de nos jours, aux Etats-Unis quelques états tolèrent l'usage médical du cannabis, la prohibition est comme dans la plupart de pays de mise. Harry Anslinger, commissaire du Federal Bureau of Narcotics de 1930 à 1964 a mené une lutte farouche contre le cannabis. S'appuyant sur une idéologie ambiante hostile aux Noirs et aux  hispaniques, il distille une propagande féroce contre cette drogue ne reculant pas contre la désinformation et l'invention de faux faits divers. En 1937, il fait voter le Marijuana Tax Act qui touche d'une forte taxe tous les producteurs de chanvre (quel qu'il soit). Cela n'empêche nullement le ministère de l'Agriculture de commanditer en 1942 un documentaire, Hemp for Victory, au réalisateur Raymond Evans, vantant aux agriculteurs les mérites du chanvre.
La loi française interdit et punit toujours la production, la vente, la détention et l'usage de cannabis. Régulièrement la question de la dépénalisation revient dans le débat public. Si en 1997, le CIRC (Collectif d'information et de recherche cannabique) avait, dans ce but, fait parvenir à chaque député un joint de marijuana, la plus importante manifestation dans notre pays en faveur de la dépénalisation se déroule chaque année, depuis 1976, le 18 juin, Place de la Villette, à Paris. Se référant à l'appel du général de Gaulle, le journal Libération avait publié un texte demandant aux autorités de ne plus criminaliser l'usage du cannabis ainsi que la liste des signataires de cet « appel du 18 joint ».
Notre Petite (mais très riche) encyclopédie du cannabis rappelle les noms prestigieux de ces signataires, ainsi qu'elle précise ce qu'ils sont devenus, et force est de constater que beaucoup ont mené d'honorables carrières.
Contrairement à la première Bible de Gutenberg (1452), la Petite encyclopédie du cannabis n'a pas été imprimée sur un papier de chanvre, pourtant plus écologique que le papier de pulpe de bois, mais le lecteur aura plaisir à le toucher et son œil sera flatté de la jolie typo de l'ouvrage. Il y fera encore bien des découvertes parmi ses 300 entrées, tant sur le plan historique, que musical, pratique ou médical, hormis peut-être que le cannabis occasionne des pertes de mémoire, car, vous l'ai-je dit, cette Petite encyclopédie du cannabis est très riche !

Petite encyclopédie du cannabis, Nicolas Millet, Le castor Astral, coll. curiosa & cætera, 13 euros.

samedi 1 janvier 2011

Le soleil m'a oublié

Des coups, il en est de toutes sortes. Ceux des boxeurs. Le boxeur, solidement planté sur ses jambes, danse, virevolte, tourne sur lui-même. Il lutte contre l'ivresse. Il balance, et au détour de son ballet, balance des coups, une grêle sur l'adversaire ou sur le sac d'entraînement.
Des coups dans la gueule, des coups au foie, et puis des coups au cœur qui ont la force de la foudre.
Lequel de tous fait le plus mal ? Quel est celui qui te laisse groggy, bon pour le compte, hébété. Quel est celui qui te donne le plus d'espoir ? Quelle est la plus cruelle des passions ? Celle vouée à la déesse de pierre ou celle portée à la déesse de chair ?
Et puis il y a les coups du sort. Les salingues coups que forge le destin, inexorable et définitive marque que finit par asséner la société. Les coups en vache parce que tout est joué d'avance. « Le hasard n'existe pas ! »
Le dernier roman paru de Christian Laborde, au titre qui évoque Léo Malet (Le soleil n'est pas pour nous) parle de ces coups-là.
Le soleil m'a oublié débute par une série de frappes sourdes et claquantes dans l'ombre d'une salle de sport pour laisser percer un espoir de douceur, une lueur ensoleillée dans la vie de Marcus, boxeur de dix-sept ans qui ne vit que de coups, parfois de mauvais, perpétués à la faveur de la nuit dans des villas délaissées.
C'est dans cet univers qu'il rencontre le soleil. Un soleil à deux faces. L'une a pour nom amour, l'autre littérature. Marcus aime Roxane, prénom prédestiné aux coups de foudre et aux amours contrariées.
Je ne vous dirai pas la fin. Au lecteur de faire son boulot de lecteur.
Pas de surprise, comme à l'accoutumée, il n'y a là que du bon, Laborde va vite et bien. Ce roman est enlevé, comme un match en quinze reprises rapides, sèches et âpres que l'on ne verrait pas passer. Dans Le soleil m'a oublié, on retrouve le style du puncheur où tout n'est que rythme et percussion, pas de temps mort, pas de reculade et pas de round d'observation. On y entend la rugosité d'un rap, mais de la douceur aussi. NTM et Police.  Ragging bull sans la graisse, on y voit la vie et le soleil, inaccessible.

Le soleil m'a oublié, Christian Laborde, éditions Robert Laffont, 2010. 16 euros.